Des miettes d’or

Commentaire de l’évangile Matt 15, 21-28 (20e dimanche année A)

La rencontre d’Evangile en Matthieu 15, 21-28 ne nous désigne pas des startingblocks pour une performance à accomplir. Jésus voyage plutôt incognito entre Génésareth la non juive et Tyr ou Sidon juifs. C’est dans un no mans’ land que l’événement se déroule.

On ne connaît pas les antécédents de la Cananéenne qui s’adresse à Jésus. N’est-elle pas, comme dans d’autres rencontres de Jésus, un pauvre hère, une femme de mœurs débridées, incapable d’assumer sa tâche de mère ?  Son enfant ne ruerait-il pas dans les brancards face aux mauvais traitements qu’il subit ?  Ne serait-il pas devenu progressivement insupportable, ingérable, rebelle sans que la mère se remette elle-même d’abord à ses responsabilités ?  La vie de cette femme est dramatique et à premier regard sans espoir de débouché pacifiant.

Qui de nous, en voyage, dialoguerait sans réserve avec une personne aussi déstabilisée et satisferait naturellement à ses appels ?  Vite tout au plus une dringuelle pour s’en débarrasser et puis basta !  Moi, je suis en vacances ; qu’elle relance son disque ailleurs !

On sait que Jésus, bien davantage que pour son seul clan, a déjà montré son engagement au service de nombreux pécheurs, l’homme perdu comme la brebis égarée par exemple, ou la femme absurdement au puits de Jacob à l’heure brûlante de midi. Mais que quelqu’un qui est obtus et qui ne voit que le bout de son nez vienne lui casser les oreilles et gémir, quand même non. Rien n’oblige à résoudre de telles incongrues misères !

Jésus nous fait comprendre, disait Ambroise le Saint évêque de Milan au 4ème siècle, que « si Dieu veille sur notre intelligence et daigne visiter notre esprit, nous sommes certains que rien ne pourra nous plonger dans l’obscurité ». Voilà une belle ode à toutes celles et tous ceux qui s’y ouvrent et qui ne se laissent pas démonter par les bruits d’assemblées bavardes mais aux services creux.

Voyons maintenant la force d’âme de la femme en tout cas désemparée de l’Evangile. Elle est écrasée mais pas prostrée ; elle active toute son intelligence pour en tirer méritoire avantage ; elle laisse, malgré ses tracas, parler sous la mouvance de l’esprit de sagesse son cœur meurtri. Comme Marie au cœur d’or avait fémininement secoué son Fils à un mariage à Cana où il manquait de vin de fête, ici une Cananéenne honnie prend, face à Jésus, l’attitude de celle qui, à tout va, jette son veule filet à la mer ; elle prend le risque d’une renaissance dont elle ne connaît pas encore les conséquences. Elle se saisit comme les petits chiens des miettes que la vie lui laisse et elle leur donne une parure plus grande que ce qui est sur la table des invités insouciants. Elle a tiré le vêtement de Jésus à l’exemple d’un enfant qui requiert de l’attention et il en a perçu le besoin : « Femme, grande est ta foi », grande ta persévérance malgré les revers de ta vie qui t’enterraient : « Que tout se passe pour toi comme tu le veux ». Elle guérit et de sa renaissance sa fille guérit. Foi en gloire !

Philippe Dupriez

(Publié dans le Journal Dimanche du 20 août 2023)

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